Chambre pour la nuit

Guy était installé depuis quelques heures. Ses valets Albin et Gervais se chargeaient de ranger les bagages dans les armoires. Ils n'y resteraient qu'une nuit, mais Guy était maniaque. Il avait besoin de confort.

La Taverne ne vallait bien évidemment pas une chambre de la demeure de Guy à Châteaulin, mais c'était mieux que de dormir dehors, ou encore au bordel. Le bordel... Il pensa à cette femme, sur les quais. Elle occupait ses pensées, sans qu'il ne sache pourquoi. Elle avait quelque chose de mystérieux, d'étrange... Il espérait la revoir, bien qu'il ne savait pas ce qu'il aurait à lui dire. Étrange...

Guy se décala de la fenêtre, et, les mains dans le dos, observa ses valets qui s'activaient. Il aimait ses valets. Ils étaient ses plus chers amis, malgré leur simple statut de domestiques. Mais Guy ne faisait de différence entre les classes sociales, ce qui lui avait valu la reconnaissance de la femme du quai. Il s'en réjouissait secrètement.

Albin, Gervais, demain, nous allons à Versailles. Nous allons rencontrer le Roy, vous rendez-vous compte ? Le Lieutenant de Dieu sur Terre ! Que le Seigneur soit loué de m'avoir fait naître Vicomte pour me donner cette chance !

Guy était catholique. Il aimait sa religion et était subjugué par le Très-Haut et les Saints qui l'entourent. Il ignorait que le père de Gervais était protestant. Le valet le lui avait toujours caché, car il a apprit dès son arrivée à Châteaulin que Guy portait une haine sans nom aux Protestants. Le Vicomte avait répugné se battre aux côtés des Anglais pendant la guerre d'Espagne.

Guy dormit profondément cette nuit-là. Épuisé par la traversée sur le Cyriaque. Son vieux pistolet sur la table de chevet, il se perdit dans un rêve qui mettait en scène une femme encapuchonnée devant une affiche qui appelait à combattre les ennemis de Dieu.

Une ombre s'avança dans la pièce et posa sur la table de nuit un pot de chambre. Une servante, l'aubergiste, un enfant ? Personne ne put le dire, car pendant son action, Guy de Mont Cavalière était dos à la forme, et face à la fenêtre. Ses habitudes de se faire servir ne lui avaient surement pas mis la puce à l'oreille, et la Fronde n'était pas la vermine inplacable qu'il pouvait se plaire à penser. Jamais de dos serait tué un personnage.
Le masque s'arrêta net et joignit les mains, admirant les valises lourdes et scintillantes du futur arrivant de Versailles. Les paris seraient bientôt ouverts. Combien de temps supporterait-il la cour, ou combien de temps la cour le supporterait-il ?
Silencieux tel l'espion qu'il était, le Frondeur passa sa main sur le bois du lit et repassa la porte direction la sortie.
La nuit, l'homme dormait, et à poings fermés. La clarté de la lune laissait baigner sa véritable chevelure blonde dans un bain nacré, et ses lèvres entrouvertes respiraient le peu d'air digne de ses poumons qui se glaissait dans l'atmosphère parmis les moutons de poussière que les gueux tenant le lieu ne trouvaient pas utilité à ôter.
Le masque entra par la porte. Il avait la clé, bien évidemment. Les seules n'étant pas en l'appartenance d'Automne étaient les Grandes salles privées de Versailles, et encore, beaucoup soupçonnaient les frondeurs de haute noblesse d'en détenir quelques unes.
De la fenêtre de la chambre pointa un bonnet. Il ne faisait pas assez chaud pour songer dormir la fenêtre ouverte, mais le vicomte ne semblait pas avoir fait attention à ce détail. Un brigand était maintenant en train de se faufiler entre ses volets.
Silencieux et quelque peu étonné de cette action, le masque s'avança vers le brigand qui sursauta de surprise. Main basse fut faite sur lui, et il passa tête la première par la fenêtre qu'il venait de passer pour voler le noble. Il empoigna dans sa chute le pan de la toilette de Red Diamond, et ce dernier fut à son tour entraîné par la fenêtre. Fort heureusement, le choc du frondeur fut estompé par le brigand arrivé avant à terre, et à en juger par la figure enfoncé de ce dernier, on pouvait voir qu'il n'avait pas eu cette chance.
Le rafus qu'avait fait la scène avait sans nul doute dû éveiller l'auberge en entier, et le masque prit la fuite, les bandes de sa toilette vénitienne volant autour de lui tels les pâles auréoles des fantômes.

Le Vicomte se réveilla brusquement. Il avait dormi d'un sommeil profond, mais un vacarme qui lui avait semblé proche l'avait tiré de ses rêves. Il s'assit sur son lit, l'air affolé. Albin était devant lui, une dague à la main, et semblait écouter. Gervais se penchait à la fenêtre.

Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Guy.
-Un homme gît sur le pavé, Monsieur.

Les valets aidèrent Guy à s'habiller. Ce dernier fourrait son vieux pistolet d'ordonnance dans sa cape quand la porte s'ouvrit soudainement. Albin pointa sa lame ; mais il ne s'agissait que du tenant de la Taverne, quelques commis et d'autres clients. La plupart était en chemise de nuit, certains tenaient des armes.

-Qu'est ce qu'y s'est passé ici ? Demanda la voix bourrue du tavernier. Y'a un cadavre dehors, Monsieur le Baron !
-J'ignore de quoi il retourne, Monsieur. Gervais, Albin ?

Les valets hochèrent la tête pour signaler leur ignorance. Gervais signala l'hypothèse d'un voleur qui serait tombé en tentant d'entrer dans la chambre. L'hypothèse se tenait, et Guy maudit son imprudence. Sans un mot, la petite troupe quitta la chambre et sortit dehors. Le voleur gisait sur le trottoir, entouré de badauds. Pour certains, il s'agissait de clients de l'hôtel, d'autres devaient être des promeneurs nocturnes. Deux policiers étaient penchés sur le cadavre. En voyant le tavernier arriver, l'un d'eux se redressa.

Tavernier ! Qu'est-ce qui s'est passé ? A-t-il demandé d'une voix forte
-Sais pas, Monsieur. Le macchabée est tombé de la chambre du baron, là !

Il pointa un doigt boudiné sur Guy. Celui-ci s'approcha, observa le corps inanimé, déglutit et fixa le policier dans les yeux.

Il se pourrait que ce brigand soit tombé de la fenêtre de ma chambre en essayant d'y pénétrer. Il était certainement peu expérimenté.
-Baron, hein ? Fit le policier en dévisageant Guy, et en palpant du regard la qualité de ses habits.
-Vicomte, pour être exact. Je viens tout juste d'arriver à Paris.
-Mouais, ça se tient. On va appeler le fossoyeur pour qu'il débarrasse le corps.

Il se retourna et adressa quelques mots à son collègue. Puis il commença à disperser la foule. Le tavernier gronda à Guy qu'il ne voulait pas d'ennuis dans son établissement. Il n'en fut pas offusqué.

Quelques dizaines de minutes plus tard, le Vicomte était de retour dans sa chambre avec ses valets. Soudain, Gervais attrapa l'épaule de son maître.

Oui, Gervais ?
-Le voleur n'était pas seul, Monsieur : regardez !

Il tendit sa main. Il tenait un pan de toilette. Guy l'observa, puis déduit :

Vénitienne, sans aucun doute.
-Le cadavre le tenait dans sa main. Je le lui ai pris quand les gendarmes ont tourné le dos.
-Pourquoi ne pas les avoir averti ?
-Ils se fichent bien de nous, Monsieur, sauf votre respect. Il n'auraient pas prêté attention à... Cette preuve.

Bien raisonné. Guy décida de remettre l'enquête au lendemain. Il se recoucha, Albin et Gervais se partageant des tours de garde avec le fusil qui se trouvait parmi les bagages.