Versailles, 1667
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Versailles, 1667

Sous le règne du Soleil se trament de drôles de choses...
 
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 Solitaire

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Marie-Anne de Conti
Princesse
Marie-Anne de Conti


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MessageSujet: Solitaire   Solitaire Icon_minitimeMar 28 Nov - 21:37

(Premier post ^^)

Le soir tombait sur le château de Versailles. Avec l’obscurité, les chants des oiseaux diminuaient d’intensité, le ciel rougeoyant se reflétait dans les fontaines. Le chuchotement de l’eau attisait une insatiable mélancolie dans l’âme de la princesse. Elle avait quitté le cortège royal qui se promenait dans le Grand Trianon. Elle préférait se retrouver seule face au spectacle magnifique d’un coucher de soleil. Elle entendit les bruits des pas des courtisans qui raclaient les cailloux des sentiers, passant non loin d’elle. Un chien jappa arrachant un sourire à Marie-Anne. La reine se plaisait à être entourée d’animaux et de nains, la distrayant. Marie-Anne respectait l’épouse de son père mais avait parfois du mal à la comprendre... Les bruissements disparurent peu à peu, laissant place aux murmures des courtisans qui se racontaient les derniers potins de la Cour.
« Selon une connaissance sûre, la Conti a rencontré son fiancé. Il paraîtrait qu’il ne lui plaît absolument pas... », entendit-elle chuchoter.
La princesse s’amusa de cette anecdote totalement fausse. Elle n’a jamais encore rencontré son futur époux. Puis soudain se fut le silence. La suite du Roy s’éloigna.

Marie-Anne lissa les plis de sa lourde robe noire de ses mains gantées. Les diamants incrustés dans le tissu ne la gênaient plus maintenant comme à ses débuts à Versailles. Ses belles boucles blondes tombaient sur ses épaules nues. Elle flâna quelques instants dans les jardins. Bientôt le grand Canal s’étendait sous ses yeux. Elle croisa quelques dames qui se rendaient en grande hâte à la messe afin d’y rencontrer le Roy Soleil. Elles saluèrent respectueusement.

En soupirant, la jeune fille s’éloigna à grand pas. Les bonnes odeurs des orangers flottaient dans l’air, lui faisant agréablement tourner la tête. Beaucoup de grandes marquises et duchesses s’évanouissaient l’été lorsqu’il faisait chaud. Le corset serrait la poitrine et créait un sentiment d’oppression. Marie-Anne évitait toujours de se rendre à ses promenades que suivaient les pages avec des sels. Une seule femme était toujours grande et majestueuse : la marquise de Montespan, qui fièrement emboîtait le pas au Roy, tandis que la pauvre reine Marie-Thérèse se plaignait en espagnol. La jeune Conti devait reconnaître que Montespan était respectable et certainement la plus belle femme de la Cour. Cela fit naître deux sentiments en elle, la jalousie tout d’abord, diffus qui se transforma en une fierté ridicule. Son père devait bien avoir en favorite, la plus magnifique dame !

Voyons ! La princesse n’allait pas gâcher ses rares moments de tranquillité en pensant à la femme qu’elle respectait et détestait le plus. Elle s’appuya sur le rebord d’une fontaine et admira la lune qui venait d’apparaître.

Alors qu’elle était détendue, elle n’entendit pas une personne approcher. Ce fut donc une grande surprise de voir brusquement, en sursautant, une jeune femme, d’une dizaine d’années plus âgée qu’elle, se tenant tout près de là...
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Mirolaïa Chvarned Svarna
Ambassadrice/Admin
Mirolaïa Chvarned Svarna


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MessageSujet: Re: Solitaire   Solitaire Icon_minitimeMer 29 Nov - 0:38

[suite du sujet "Promenade"]

Sa course éperdue l'avait menée dans cet endroit tranquille. Comme elle haïssait cette cour et ses habitants, si hypocrites, si manipulateurs ! Si vils au fond, tous ignobles. Tous se cachaient derrière des fards et des chienlits, plus aucune pureté n'existait ici, tout était faux, masqué et parjuré, galvaudé, dissimulé. Tous étaient comme elle-même, des criminels, à des niveaux bien sûr très espacés, du simple menteur au pire assassin... mais il n'en était aucun dont les mains ne soient souillées d'un forfait.

C'était insupportable, invivable, tragique. Epuisée, désespérée, Mirolaïa se jeta contre le rebord d'une fontaine, sans voir que non loin était assise une enfant. Tête entre ses bras croisés sur le marbre, elle se prit à sangloter. Peu lui importait de souiller sa jolie robe, peu lui importait de déchirer la soie, peu lui importait d'écorcher sa peau ! Elle voulait juste laisser couler ces larmes qui voulaient tant inonder ses joues laiteuses.

Pour la première fois depuis son arrivée à Versailles, elle était vraiment belle. Ses cheveux étaient décoiffés, ils paraissaient soyeux et lui donnaient un air sauvage et immaculé, comme une licorne des temps anciens. Elle avait retroussé ses manches et laissait voir ses bras ronds et purs, son apparence tragique renforçait ce charme étrange qu'elle avait. Quiconque l'ayant vue à cet instant n'aurait eu qu'une envie, la prendre dans ses bras pour la réconforter, cette pauvre poupée Russe perdue.

Quand ils étaient petits, son frère l'appelait Matriochka, comme lesdites poupées russes qui s'emboîtaient les unes dans les autres. Il lui en avait offertes de belle du couvent d'Ouglitch, le long de la Volga. Elles étaient en bois blanc, les motifs étaient tracés au pinceau marron et il y avait des parties dorées à la feuille. Deux points roses pour les joues, des lèvres toutes rouges. S'il les avait prises, celles-là particulièrement, c'était parce qu'elles avaient les mêmes yeux améthyste que la jeune fille.

Elle se rappela avec une émotion sincère son étonnement spontané et euphorique d'enfant. Un léger sourire illumina ses petites lèvres, à travers les larmes. Elle sanglotait toujours et tripotait à présent le pendentif qu'elle portait. Aujourd'hui, les poupées composant la matriochka s'étaient toutes brisées, sauf une, la plus petite, qu'elle portait à présent en bijou. C'était là le seul ornement qui méritait de rester sur elle même la nuit, même dans un bain, toujours. C'était son frère qu'elle gardait toujours avec elle, son seul amour, son seul ami, sa seule famille.

**Matriochka, petite poupée, sèche tes larmes, la vie n'est pas si rude, tu vois, le soleil brille et bientôt ce seront des étoiles, danse, petite poupée, Matriochka...**

Elle sortit un mouchoir en dentelle de son corsage et essuya ses larmes. Elle s'agenouilla à côté de la fontaine et se moucha discrètement, reprenant son souffle et sa dignité. Cette petite voix dans sa tête avait raison, elle ne devait pas se laisser aller, ce serait fichtrement sot. Elle renifla un instant. La vie était belle, au fond. N'était-elle pas dans ces jardins paradisiaques avec, pour seule compagnie, celle de l'eau qui bruissait ? Ne venait-elle pas de parler au souverain de France, en omettant que l'entretien avait été un échec ?

En fait, elle avait une autre compagnie. Après s'être mouchée et avoir repris sa fierté, elle constata qu'une autre personne était là. Il s'agissait d'une jeune adolescente, une enfant même, aux boucles blondes et à l'air très noble. Dans ses yeux et dans son allure, Mirolaïa retrouva certains aspects du roi, cette majesté, cette élégance... Cette petite était-elle apparentée d'une quelconque manière au souverain ? Etait-elle aussi fourbe que ces courtisans qu'elle avait aperçus ?

- Bonjour, murmura-t-elle de sa voix à l'accent prononcé. Je... ne vous avais pas vue.

Mirolaïa ne savait pas tutoyer les gens, même les enfants, cela dépassait ses capacités. Elle lissa du plat de la main sa chevelure folle avant de se hisser sur le rebord de la fontaine, replia la jambe, le bout de sa chaussure effleurant le marbre. Un pauvre sourire naquit sur son visage, une mèche de cheveux lui tomba devant les yeux, elle n'y prit pas garde. D'une main distraite, elle remit ses manches en place.
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Marie-Anne de Conti
Princesse
Marie-Anne de Conti


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MessageSujet: Re: Solitaire   Solitaire Icon_minitimeJeu 30 Nov - 0:10

Mademoiselle de Conti avait tout d’abord regardé avec effarement cette jeune femme pleurer de toutes les larmes de son cœur. Que s’était donc t-il passé ? La princesse fronça les sourcils et par souci de pudeur regarda au loin vers le château où une silhouette l’observait à la fenêtre. Cette démonstration de chagrin l’agaçait au plus haut point. Egoïstement, elle songea à apostropher la pleureuse. Heureusement pour celle-ci, Marie-Anne lui jeta un coup d’œil. La petite fut touchée de la mise simple et du désespoir de la femme. Elle choisit avec discrétion de patienter.

Qu’est-ce qui avait pu mettre la pauvre femme brune dans cet état ? Une courtisane l’avait-elle donc humiliée ? Marie-Anne songea immédiatement à la marquise de Montespan mais élimina cette idée. La magnifique favorite n’avait aucun souci à se faire de cette pauvre damoiselle. Le Roy n’aimait pas ce genre de donzelle. Mais alors ? Le Roy avait-il pu avoir un mot méchant ? La jeune fille le connaissait, il n’aurait pas fait cela gratuitement. La jeune dame n’avait-elle pas respecté l’étiquette ? La princesse devait reconnaître que cela était possible. Ne pas se rendre à la promenade du Roy, pleurer dans le Grand Trianon et manquer de saluer une princesse, fille de roi et de duchesse n’étaient pas vraiment dans les convenances...

La jolie brune ne l’avait toujours pas remarqué. Elle caressait un collier que cachait sa longue chevelure. Mademoiselle de Conti se mit tout de suite à penser à la dague qu’elle cachait sous sa jupe. Elle la toucha à travers sa robe de brocart et bêtement ce contact la rassura. Elle savait pertinemment que personne ne tenterait de l’assassiner en plein Trianon et de plus certainement pas une fille pleurant et se moquant des règles. La princesse soupira. Elle se prenait à rêver au temps où elle allait vagabonder dans les couloirs du Louvre avec son jeune frère le comte de Vermandois. Comme il lui manquait ! Monseigneur le jeune Dauphin appréciait encore de jouer avec elle aux cartes particulièrement mais ce n’était pas pareil à la Cour. Les intrigues avaient remplacé l’amitié et la convivialité de sa jeunesse. Elle ne regrettait rien, certes, Versailles était fort amusant. Faire renvoyer ses petites demoiselles de compagnie également. Mais elle allait épouser un homme qu’elle n’aimait pas et qu’elle n’avait d’ailleurs jamais vu et les convenances l’étouffaient.

Elle chassa ces mauvaises pensées et se concentra sur la femme qui était à ses côtés et qui avait fini par se calmer. Elle s’assit à ses côtés sur le rebord de la fontaine. Mademoiselle de Conti allait vivement répliquer avec violence mais l’air miséreux de la jeune femme lui fit pitié. Visiblement cette femme était désespérée et, ou perdue. Un sourire timide éclaira ses traits. La princesse ne répondit pas.

Lorsque enfin la courtisane parla, Marie-Anne comprit immédiatement. Elle était donc étrangère. Une simple visiteuse ? Une ambassadrice ? Non, enfin, les rois envoyaient des personnes sachant se tenir au Roy Soleil !
La jeune inconnue ne s’excusa même pas, comme si elle considérait la princesse comme une simple bourgeoise. Elle n’avait certes pas reconnu le rang de la jeune fille mais...
Marie-Anne resta au début sans voix mais quand elle s’exprima enfin, son timbre était rauque et choqué.

- Bonsoir madame. Qui êtes-vous donc pour négliger ainsi l’étiquette ?

La princesse regretta sa rudesse. Elle se comportait en véritable peste telle une Montespan.

- Veuillez excusez mon impolitesse, madame, mais l’on m’a habituée à plus de respect que cela... De quelle contrée barbare provenez-vous ?

Pour faire pardonnez ses paroles, mademoiselle de Conti adressa un sourire à la jeune femme.
Elle attendait sa réaction afin de voir si cette étrangère était digne de respect...
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Mirolaïa Chvarned Svarna
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Mirolaïa Chvarned Svarna


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MessageSujet: Re: Solitaire   Solitaire Icon_minitimeVen 1 Déc - 20:21

Un mouchoir de dentelle essuya les derniers pleurs de la demoiselle. Elle froissa nerveusement le tissu immaculé entre ses doigts, tremblant encore de s'être ainsi fourvoyée sur la Cour. Certes, son frère l'y avait mise car ici, l'intrigue était un lot quotidien, et leurs crimes à eux deux disparaîtraient sous les fards, mais... Mais elle ne pouvait souffrir tous ces masques. Tout aurait été si simple avec Aleksandr, qui hélas, avait refusé de la suivre. Du diable soit ce frère qui avait toujours rechigné à apprendre le Français !

Elle se moucha discrètement, d'une manière très noble. Elle peinait à reprendre son souffle, son corset la comprimait douloureusement. Heureusement, la nuit tombait, elle pourrait se changer... pour revêtir une autre robe. Il était une chose qu'elle avait comprise depuis son arrivée, c'étaient les soirées d'appartement, ces bals splendides auxquels tous les courtisans étaient conviés et où chacun faisait la fête jusqu'à tard le soir. Les fastes déployés étaient somptueux, les femmes et les hommes étaient tous aussi parés. Elle ferait pâle figure à côté de ces merveilles... une fois de plus.

Elle dut inspirer et expirer douloureusement plusieurs fois avant de pouvoir articuler quoi que ce soit. Elle était fort pâle, blême même ; d'aucuns auraient pu s'inquiéter en voyant sa mine excessivement maladive. Le rose qui colorait habituellement ses joues avait disparu, elle semblait de porcelaine. S'il n'y avait eu cette crinière folle au-dessus de sa tête, on aurait pu croire à une matriochka, en effet. Que le surnom était adapté à la personne qui le portait... c'en était drôle, d'une certaine manière.

Elle se prit à rire doucement d'elle-même. Qu'elle était sotte, tout de même ! Se laisser aller aux larmes ainsi, en public, dans un jardin, pour une raison futile... non, elle ne valait pas une quelconque compassion. Elle s'essuya les yeux doucement et eut un nouveau sourire, plus assuré celui-là, à l'adresse de la jeune personne. Elle attacha négligemment sa chevelure avec le ruban de son pendentif, ignorant qu'elle détournait un procédé déjà utilisé par madame de Fontanges auparavant. Enfin, elle se jugea prête à répondre à la demoiselle.

- Pardonnez-moi, madame, de ce peu de convenances. Le chagrin m'a donné un grand vague à l'âme qui m'empêcha de vous montrer tout le respect qui vous est dû.


C'était là une phrase bien innocente. Mirolaïa ignorait bien quel rang était celui de son interlocutrice, toutefois, à voir comment celle-ci l'avait apostrophée, elle était d'une classe sociale fort élevée. Une duchesse... une princesse, même. Qu'importait ? Il fallait être très respectueuse de ces femmes-là. La Russe décida donc de faire comme si elle avait reconnu la jeune personne et de lui parler avec déférence.

- Je suis Mirolaïa Chvarned Svarna, soeur d'un ambassadeur Russe. Je suis venue avec lui, toutefois le pauvre homme est attaqué par une maladie grave et a dû être rapatrié d'urgence. Un message devant être délivré au roi au plus vite, je suis restée... hélas, je n'ai jusque là aucunement réussi à lui parler. D'où mes pleurs... je m'en excuse devant Votre Grâce.

Mensonges, mensonges... si elle-même commençait, elle devrait cesser de critiquer les nobles. Non, elle n'était pas soeur de l'ambassadeur, non, celui-ci n'avait pas été rapatrié, non, elle ne devait délivrer aucun message. Elle n'avait de plus pas compris l'invitation du Roi. Heureusement, son français lui revenait quelque peu... cependant, elle avait cet accent étrange. Elle regarda le ciel, il se faisait tard. Elle devait rechercher sa servante... lui en avait-on attribué une, d'ailleurs ? Un mystère à résoudre !

- Pardonnez-moi, une fois de plus. Il me faut vous laisser. Je m'excuse de vous avoir importunée, je ne sais si vous accepterez de m'accorder votre indulgence, je connais mal encore les coutumes de cette cour. Il me faut vous laisser, j'espère ne pas vous avoir causé de dérangements...

Elle se leva et s'inclina prestement et parfaitement avant de disparaître. Elle n'avait pas été troublée par le ton sec de la jeune personne, à dire vrai, plus rien ne l'atteignait... sauf ces maudits fards qu'elle ne supportait plus. Elle avait fait preuve d'une trop grande politesse à son goût, peut-être s'était-elle fourvoyée quant à l'identité de son interlocutrice. Ce n'était pas grave. Il fallait trouver sa servante...

[suite ?]
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Marie-Anne de Conti
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MessageSujet: Re: Solitaire   Solitaire Icon_minitimeSam 2 Déc - 0:59

La princesse Marie-Anne observa la jeune femme avec de grands yeux inquisiteurs. Sa dame de compagnie, Emilie de Choin et les courtisans avaient d’abord été effrayés de ce regard glaçant. Mais c’était aussi l’aspect physique de la petite qui était le plus majestueux et qui ressemblait le plus au Roy. La jeune étrangère, toute décoiffée, pâlit brusquement. Elle ressemblait à la magnifique poupée que le père de la jeune fille lui avait offert plus petite alors qu’elle ne le connaissait pas encore. Elle avait été mise en morceaux par son jeune frère le comte de Vermandois qui ne la supportait pas. Ce souvenir la rendit nostalgique. Que le temps passait vite !

La pauvre jeune femme reprit contenance. Elle était si différente de toutes les courtisanes que la princesse avait pu connaître... Vêtue simplement, s’effondrant en pleurs et négligeant de saluer la fille du Roy. A y réfléchir, cela n’agaçait pas Marie-Anne. Elle la distrairait. Elle pourrait devenir amie et confidente si elle était sympathique et intelligente. Elle deviendrait souffre-douleur si ce n’était pas le cas. Elle attacha ses cheveux machinalement, avec un ruban, ignorant sans aucun doute qu’elle reproduisait le geste de l’idiote Mademoiselle de Fontanges.

Marie-Angélique était certainement la personne que Marie-Anne méprisait le plus. Certes elle était magnifique, son teint était éclatant et elle était gracieuse. Mais dès que l’on parlait avec elle, on s’apercevait de son plus gros défaut : son manque d’esprit. La pauvre était bien aimable mais elle ne pouvait se défendre des piques de madame de Montespan. Cependant, étrangement le Roy qui aimait les femmes belles et intelligentes s’était entiché de cette gamine. Marie-Anne s’amusait des façons de la marquise : elle n’avait aucun doute là-dessus, celle-ci allait se débarrasser de sa rivale. Et ses étranges visites et vêtements noirs n’annonçaient rien de très légal... La jeune princesse se méfiait de Montespan tout en sachant qu’elle n’était pas une priorité. Quelques valets qu’elle faisait chanter lui racontaient tout ce que faisait la favorite. Cela trompait l’ennui.

L’étrangère prit la parole. Comme si elle savait qui était Marie-Anne, elle la traita avec déférence. La princesse apprécia. Madame Chvarned Svarna se présenta comme étant la sœur de l’ambassadeur de Russie (d’où l’étrange accent !). Malgré tout, mademoiselle de Conti ne crut qu’à moitié à son histoire. La jeune femme parlait avec détachement de son frère, de « cet homme » qui apparemment avait été atteint d’une maladie grave.

« Elle ne fait que son devoir », pensa la jeune fille, d’humeur conciliante, « rester à la Cour pour délivrer un message alors que son frère se meurt, apparemment... »

Les pleurs de cette dame étaient dus à l’ignorance du Roy, donc... Après les excuses de Mirolaïa, mademoiselle de Conti décida, dans une grande bienveillance, d’en parler au Soleil. Après tout, peut-être que son père accorderait à cette jeune femme une seconde chance.

- Je vous en prie madame. Nous nous reverrons ce soir aux Grands Appartements je suppose...

Le Russe s’éloigna, la tête haute. Marie-Anne espéra qu’elle s’était blindée psychologiquement contre les attaques que la fourbe Montespan et son amie Caumont Laforce ne manqueraient de lui faire. Elle haussa les épaules. Après tout, elle n’était pas responsable de cette femme et ce pays lointain n’avait qu’à se munir d’une meilleure Ambassadrice. Elle décida d’atteindre le soir même afin de décider de ce qu’elle ferait de cette jeune femme qu’elle avait secrètement prise en pitié.

La princesse se leva, jeta un dernier regard sur la fontaine et s’éloigna. Il lui fallait changer de robe, celle-ci était trop ordinaire pour les Grands Appartements, déchaînement de fête et de luxe. Elle se promit de se retenir de trop dépenser comme la dernière fois où elle avait perdu des sommes folles. Le Roy le lui avait reproché, en coulisse, à sa grande honte. Cependant, le jeu était le grand péché français et permettait de tromper l’ennui. La Montespan se ruinait régulièrement et son amant était d’ailleurs obligé de renflouer les caisses. Marie-Anne sourit inconsciemment. Peut-être verrait-elle les favorites, les courtisans hypocrites et les dames de compagnies traîtresses ? Les Grands Appartements voyaient les conspirations naître, les couples s’unir et se défaire...

La princesse se secoua. Le Dauphin devait l’attendre...

[=> Le salon de Vénus ?]
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